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L'inespérée
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24 août 2010

Eglantine

III.

J'ai couru et débouché sur la place juste au moment où elle pénétrait dans l'aile gauche de l'hôtel, qui fait office de casino. Je suis rentré à mon tour et l'ai observée discrètement. Elle a traversé la salle et s'est assise à l'une des cinq tables de poker, tout au fond. Je suis resté quelques minutes à la contempler, en déambulant entre les machines à sou et les roulettes. Puis une idée m'est venue. J'ai décidé de me joindre à la partie et me suis assis à l'autre bout de la table, face à elle.

J'ai salué tout le monde, et j'ai vu qu'elle me répondait d'un large sourire. J'ai fait bien attention de ne pas la regarder, et je me sentais comme dans un film, cartes à la main, à me sentir maître de la situation, capable de devenir le meilleur joueur du monde, ou en tout cas de le faire paraître le plus longtemps possible pour peut-être capter son attention. Je me suis vite rendu compte qu'elle ne jouait que les coups qu'elle était sûre de gagner, en suivant très peu, et qu'elle avait une certaine aisance. Une jolie fille qui joue bien, ça impressionne beaucoup à une table, et tous les mâles entre nous deux étaient bien décidés à devenir le rival de la belle, l'ennemi à fixer droit dans les yeux, bref, celui qui saurait prendre le dessus sur elle. Mais elle tenait bon, jouant de manière très décontractée et très sûre.

De mon côté, au bout d'une vingtaine de minutes, je cherchais moins à jouer qu'à réfléchir au moyen d'établir un contact avec elle. La situation me semblait désormais peu avantageuse : si elle décidait de sortir du jeu, je savais que je me sentirais bête, et dans l'impossibilité de faire comme elle pour essayer de l'aborder. Finalement, j'ai décidé que j'allais jouer davantage, quitte à perdre, ainsi je pourrais quitter la partie avant elle, et l'attendre dans la rue. Rassuré par cette solution à mon dilemme, j'ai fini par me sentir quelque peu à l'aise, et je me permettais même de la regarder de temps à autre. De son côté, totalement décontractée, elle regardait tout le monde simplement, avec d'autant plus d'assurance lors de ses duels face à un autre joueur, et bientôt son voisin s'est mis à tenter une approche. Mais je sentais que ça ne l'intéressait pas plus que ça, et craignais surtout que ça la fasse partir avant moi.

Après avoir gagné quelques coups, j'ai décidé de mettre mon petit plan à exécution, et je me suis retrouvé avec une belle main, face à elle seule. Le fameux « Anna Kournikova ». As et Dame. « C'est joli mais ça ne gagne jamais », dit-on. Au dernier tour d'enchère, je n'avais une paire de dames. C'était à elle de miser. Elle m'a regardé et alors que jusqu'ici elle jouait silencieusement elle m'a dit soudain « Je te joue ton tapis ». J'ai souris et répondu « Mon tapis ? C'est tout ? ». Sans changer d'attitude, et sans sourciller, elle a rétorqué tout de go « Je te joue ton tapis, et celui qui gagne paie un verre à l'autre ». Je pense que je suis devenu tout blanc, ou tout rouge à ce moment-là. Une proposition comme celle-là, je m'attendais à tout sauf à cela. Son voisin m'a lancé un généreux « Là, tu peux pas refuser ». J'ai fais semblant de réfléchir un peu en regardant mes jetons, en savourant l'alternative, et lorsque j'ai bien pris conscience de l'enjeu et de la chance qu'elle m'accordait, je l'ai regardée une dernière fois en esquissant le sourire du mec sûr de lui. Elle a relancé d'un « Allez, tu ne risques pas grand chose : soit tu l'emportes, soit tu passes cinq minutes avec moi, quoi qu'il arrive tu ne seras pas perdant... ». Ca, j'ai moins aimé, mais comme ma décision était prise depuis le début, j'ai fais « Okay, tapis ». Et j'ai perdu.

Ravi de ce coup du sort, je me suis levé comme dans un rêve, je n'avais plus à réfléchir, je l'ai félicitée et lui ai dis que je l'attendais au bar. J'ai commandé un verre, et je regardais vers la table en me demandant si elle tiendrait sa promesse. Il me semble qu'elle faisait bien attention de ne pas regarder dans ma direction, et je me doutais qu'autour de la table j'étais devenu sujet de moqueries et de saillies frustrées. Encore une fois, une fille s'était jouée de moi et j'étais tombé dans le panneau. Mais, avant que je n'en vienne à ruminer des considérations misogynes, elle s'est levée de table et est venue s'asseoir avec moi.

Elle a pris un Martini. Trop intimidé pour engager la conversation, je l'ai laissée prendre en main les premiers échanges. « Laurent ». « Eglantine ». « Joli ». « Non, je n'avais jamais joué au casino, d'ailleurs je ne joue plus au poker depuis longtemps ». « C'est une passion récente, mais je joue rarement aussi ». « Paris ». « Paris ». « Vème ». « IXème ». « Photographe ». « Comédienne ». Surtout ne pas me trahir en disant que je le sais. « Envie de revoir des lieux de mon enfance ». « Une idée de mes amis pour mon anniversaire ». « Joyeux anniversaire ». « 28 ans ». Moi 36. La discussion est agréable. Elle semble apprécier ma présence. Elle me regarde, et moi j'essaie de faire bonne figure, sans trop révéler ma timidité. Un deuxième verre. La confiance me gagne. Elle veut prolonger l'instant. « Hôtel de Paris ». « Ah bah c'est là qu'on a déjeuné ce midi avec mes amis ». Puis elle me raconte que ses amis sont rentrés sur Paris mais qu'ils lui ont offert le week-end au grand Hôtel. Elle n'est jamais venue mais avait gardé un vieux souvenir de Sophie Marceau dans « La Boum ».

Elle a bientôt fini son verre. Je sens que le silence va s'installer, et qu'elle va bientôt chercher à s'éclipser. Elle me confie : « Tu sais, je t'ai vu sur la plage tout à l'heure ». Je réalise qu'elle a compris. Je bredouille un « Ah bon... ». « D'ailleurs, j'ai bien envie d'y retourner. Ta photo, elle doit être trop sombre, elle ne donnera rien, il faudrait la refaire de plus près ». Je me sens bête. Elle m'a vu la prendre en photo. Je me sens stupide. Je suis un idiot. « Oui, excuse-moi, c'est un vieux réflexe, je n'aurais pas dû... » « Mais non, je déconne » m'interrompt-elle dans un rire en me donnant une petite tape sur la cuisse. Elle avale la dernière gorgée et se lève. « Bon alors, ça te dirait de venir prendre un bain avec moi ? ». Ca y est, la complicité s'immisce. Apparemment j'ai réussi à passer les premières épreuves. Elle ne vas pas me quitter d'un seul coup, elle valide la rencontre. « Ben, déjà que je suis pas du genre à me baigner quand il fait beau, alors là, en plus, le bain de minuit, avec le froid qu'il fait, je crois que c'est pas trop mon truc. Mais je veux bien t'accompagner et te regarder si tu veux. Et je jure de ne pas prendre de photo. » « Bon, alors je te propose autre chose : je vais prendre un bain, mais dans ma chambre, et tu pourras regarder si tu veux... et même me réchauffer... »

* * *

Vous me dites si j'en fais trop hein...

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Commentaires
L
Au début je pensais écrire les deux journées, mais cette seule journée du samedi me semblait suffire, surtout avec cette "fin"...
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B
Oui je veux.
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L
Tu veux que j'écrive une suite ?
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B
"Vous me dites si j'en fais trop" :) Continue!!!
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