Bérénice
A l'époque, j'avais formé un groupe de jazz-rock qui tournait plutôt bien. Un sextet à base de reprises de Zappa, avec quelques compos. Nous avions même une série de concerts à Paris et ses environs. C'est ainsi qu'un soir nous jouions au Triton, une salle aux Lilas, où j'étais déjà souvent venu. "Village of the Sun - Echidna's Arf". Et là, devant moi, à quelques tables de la scène, je remarquais une très jolie jeune fille, dont je croisais le regard. Une brune, aux yeux magnifiques, un visage que je distinguais assez mal, depuis la scène illuminée, mais qui me semblait familier. Au début, pendant les pauses entre les morceaux, je regardais timidement dans sa direction, intrigué par cette douce apparition, ce regard intense que je devinais posé sur moi. Puis je décidais de ne plus trop me laisser distraire par cette idée. Mais plus je m'empêchais de la regarder, plus j'y pensais. Surtout lorsque nous entamions "Black Napkins", un thème et une impro empreints d'une grande délicatesse, dans lequel je mis toute mon émotion du moment, pour elle.
Il y eût enfin la vraie pause d'un quart d'heure, entre les deux sets d'une heure, et j'allais prendre un verre au comptoir, en passant devant sa table. Elle vînt peu après, s'approcha en m'adressant un large sourire, et s'assit sur le tabouret juste à côté de moi pour commander un verre. Je fût frappé de stupeur. Bérénice Bejo. Je l'avais immédiatement reconnue. Un peu tard, mais quand même. Je ne pouvais plus faire marche arrière. Totalement perturbé par cette illumination, ce rêve qui côtoyait ma réalité, je restais quelque peu idiot, à la regarder pour me convaincre, et elle remarqua mon regard insistant. Quelques spectateurs étaient venus s'immiscer entre nous, et l'un d'eux commença à lui parler. Elle lui répondait, et semblait me prendre comme point d'appui, me regardant subrepticement, lorsqu'elle portait son verre à ses lèvres. Au fond de moi, j'imaginais qu'elle aurait préféré que ce soit moi qui vienne lui parler, et qu'elle me le signifiait à sa façon. Puis elle prit son verre et quitta son tabouret, prenant congé de son dragueur malheureux. Je me disais qu'elle allait rejoindre sa table, mais en fait elle vînt se poster juste devant moi et me dit :
« Tu joues super bien dis donc... c"est excellent ce que vous faites ».